Madame Jules Favre, portrait d’une Sévrienne exceptionnelle
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Madame Jules Favre, née Caroline Julie Émilie Velten le 15 novembre 1833 à Wissembourg (Bas-Rhin) est la fille d’un inspecteur ecclésiastique dans l’Église luthérienne. Élève d’un pensionnat où elle apprend l’anglais et l’allemand, elle est reçue au brevet supérieur des institutrices. En 1853, elle devient sous-maîtresse dans la pension évangélique de Mme Frèrejean installée d’abord à Paris puis à Versailles. Il s’agit d’inculquer aux filles un solide enseignement moral tout en éveillant leur curiosité, de cadrer et d’équilibrer leur apprentissage en les laissant actrices de leur propre savoir, de susciter leur effort personnel et leur esprit d’initiative tout en respectant leur individualité. Mme Frèrejean entend également créer un climat de vie de famille et pousser les élèves à travailler et à bien se conduire en instaurant une atmosphère de bienveillance et de confiance. À sa mort en 1860, Mlle Velten prend la direction de la pension en continuant de mettre en œuvre les mêmes principes pédagogiques. Pendant dix ans, elle aiguille ses élèves avec exemplarité et bienveillance.
Femme d’homme politique
Avec la guerre de 1870, le pensionnat se vide, Mademoiselle Velten travaille dans les ambulances puis s’engage intellectuellement en suivant les séances de l’Assemblée nationale installée à Versailles. Elle rencontre Jules Favre, pour qui elle fait des traductions en français et en allemand. Avocat et homme politique républicain, il négocie la paix de Francfort de 1871 en tant que ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Défense nationale. Ils se marient le 6 août 1874. Elle est son épouse mais également sa collaboratrice. Après le décès de Jules Favre le 19 janvier 1880, elle rassemble, édite et met en valeur ses discours politiques et ses plaidoiries en différents recueils. En hommage à son mari, elle signera ses écrits Madame Jules Favre ou Veuve Jules Favre.
L’ancienne Manufacture de porcelaine de Sèvres devient une école…
Elle est choisie par Jules Ferry pour diriger l’École normale supérieure de Jeunes filles créée par la loi du 26 juillet 1881. La formation de professeurs femmes est en effet rendue nécessaire par la création des lycées et des collèges de jeunes filles. À la fin du XIXe siècle, dans un contexte encore conservateur, Camille Sée est persuadé que la bonne évolution et la consolidation de la République reposent aussi sur les femmes. Il est à l’initiative de la loi votée le 21 décembre 1880 portant création des collèges et des lycées pour les jeunes filles. Madame Jules Favre est aussi convaincue du rôle politique que joue une école offrant une éducation nouvelle aux femmes.
Le nouvel établissement est un internat abrité dans l’ancienne Manufacture de porcelaine de Sèvres. Jules Ferry nomme Ernest Legouvé, inspecteur général de l’Instruction publique, directeur des études de l’école. Il est une caution pour l’école, chargé de rassurer. Ce dernier voyait l’égalité des femmes avec les hommes comme l’égalité dans la différence. Madame Jules Favre ne partageait pas la vision de sa hiérarchie qui était attachée au modèle masculin de l’enseignement et entendait transposer chez les filles la pédagogie et la discipline tout en craignant des études trop élevées. Elle n’a jamais conçu d’études à l’usage des filles et n’entendait pas limiter leur développement intellectuel.
Madame Jules Favre a eu un rôle fondamental dans l’esprit de Sèvres. Elle a donné à l’établissement une organisation et un corps professoral d’excellence. Elle assistait souvent aux cours en plus de son travail administratif, faisait part de ses commentaires aux professeurs, travaillait avec eux à définir les concours. Elle veillait à la bonne marche de son école et entendait en rester maîtresse. Volonté, efforts personnels, liberté, responsabilité personnelle, discipline de l’esprit, sentiment du devoir : tel était l’esprit de l’école.
Elle a donné une âme à l’établissement dans lequel elle aurait voulu une discipline moins austère. Elle a mis en place des rituels telle la cérémonie du « bonsoir » restée longtemps célèbre : après une sorte de récréation, les élèves se rendaient à tour de rôle chez la directrice qui les recevait à partir de huit heures et demie avec une poignée de main, un petit mot et un sourire qui étaient comme le bilan de la journée.
Elle a exercé ses fonctions jusqu’à son décès à l’École normale supérieure de Sèvres le 31 janvier 1896. Elle repose avec son mari au cimetière Notre-Dame de Versailles.
Le 6 août 1938, le Conseil municipal de la ville renomme la partie sud de la rue de la Villa Rémy Launay, rue Madame Jules Favre.