Gabriele Münter, pionnière de l’art moderne
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Née en 1877 à Berlin, issue d’un milieu aisé, Gabriele Münter s’intéresse très tôt à l’art et suit des cours particuliers de dessin avant de fréquenter l’École d’art pour femmes de Düsseldorf à partir de 1897, l’entrée à l’Académie des beaux-arts étant interdite aux femmes. Suite au décès de sa mère, elle entreprend en compagnie de sa sœur Emmy, un voyage de deux aux Etats-Unis. Son appareil photo Kodak en main, elle prend environ 400 photos d’une grande qualité de composition et documente son voyage : amis, habitations, vie urbaine et rurale, paysages, bateaux, trains. A son retour, elle s’installe à Munich pour poursuivre sa formation artistique et s’inscrit aux cours de peinture d’une école fondée par Vassily Kandinsky, la Phalange.
À l’Eté 1902, le peintre russe invite sa brillante élève à suivre ses cours d’été dans les Alpes, au sud de Munich, dans le village de Murnau. Pendant ce séjour, une relation amoureuse s’établit entre le maître et son élève. Les amants affichent alors leur liaison et s’installent en concubinage, à l’encontre des bonnes mœurs de l’époque. Vassily est alors marié à Anna Chemiakina. La situation devient délicate à Munich, aussi, le couple décide d’entreprendre une série de voyages, sur plusieurs années, marquant le début d’une vie itinérante. Après un passage par Gênes, Milan et Bâle, le couple arrive enfin à Paris en mai 1906 et loue, dans un premier temps un appartement, rue des Ursulines. Fin juin, ils déménagent à Sèvres, 4 rue des petites Binelles (actuelle rue Théodore Deck), dans la villa louée par M. et Mme Vernot, afin de répondre au besoin de calme de Kandinsky.
La ville de Sèvres devient une source intarissable pour le couple
Lors du séjour à Sèvres, le couple découvre les œuvres d’Henri Matisse, de Paul Gauguin et le fauvisme, mouvement artistique caractérisé par ses couleurs audacieuses, ses coups de pinceau texturés et ses représentations non naturalistes. Cette découverte va profondément influencer le style de Gabriele Münter après 1907. Pourtant le couple reste fidèle à l’impressionnisme, comme en témoigne les toiles produites, basées sur des scènes peintes en plein air, utilisant la technique du couteau à palette. Gabriele ajoute notamment une gamme de tons violets, gris ou verts (dans le tableau Allée dans le Parc de Saint-Cloud) et applique la couleur par petites touches, directement sur la toile. Dans une autre vue du parc de Saint-Cloud, son style reste encore très proche de celle de son compagnon.
Vassily et Gabriele se différencient toutefois dans le domaine du dessin et de la gravure. Alors que Kandinsky réalise des peintures évoquant avec nostalgie les contes de la Russie ancienne ainsi que des gravures sur bois composées de petites touches de couleur, de son côté, Münter se concentre, dans ses gravures sur bois ou linoléum, sur des fragments de paysages – rues, parc – mais aussi sur des portraits, qu’elle réduit aux structures essentielles. Les aplats de couleurs et l’exigence de simplification des formes de la gravure contribuent à une rupture avec la représentation traditionnelle. A côté du portrait de ses propriétaires, Monsieur et Madame Vernot, Gabriele Münter réalise le célèbre portrait de Kandinsky et capture le regard distant et aiguisé que jette son compagnon sur le spectateur, par un travail très précis de lignes et de surfaces.
Cette période marque également le début d’une relation conflictuelle entre Gabriele et Vassily en raison de la précarité de leur existence comme en témoigne son journal : « Je renonçais à ce qui dans ma vie correspondait à l’idée du foyer (…), la vie était trop provisoire pour pouvoir être satisfaisante – je ne pouvais rien changer et je l’acceptais par amour, car il souffrait ». Les conflits s’aggravent au point qu’elle doit quitter Sèvres pour Paris, non loin du jardin du Luxembourg où réside la collectionneuse Gertrude Stein. L’année 1907, marque aussi le début de ses premiers succès publics. Gabriele est mentionnée dans la presse pour la première fois suite à sa participation au Salon des Artistes Indépendants du printemps 1907 où elle présente six études à l’huile figurant Sèvres et Saint-Cloud. La même année, elle expose au Salon d’Automne cinq portraits gravés.
La fondation du mouvement « Cavalier bleu »
De retour en Allemagne durant l’été 1907, Gabriele Münter prépare une exposition à la galerie Lenoble de Cologne montrant l’ensemble de sa production parisienne. La liste manuscrite des 91 tableaux répertoriés donne une idée du nombre élevé d’œuvres réalisées pendant son séjour parisien. Influencée par le fauvisme, Gabriele expérimente la palette éclatante des fauves qui lui inspire comme à Vassily une nouvelle voie. En 1909, ils participent à la fondation du mouvement du « Cavalier bleu », un groupe d’artistes expressionnistes : Vassily Kandinsky, Franz Marc, August Macke, Gabriele Münter, Marianne Von Wedekind, Heinrich Campendonk, David Bourliouk, Alexej Von Jawlensky, Alfred Kubin et Paul Klee. Ce mouvement figuratif qui se caractérise par des couleurs violentes et des lignes acérées se veut être une critique de la modernité. Elle est la première du groupe à bénéficier d’une exposition personnelle à la galerie Der Sturm de Berlin en 1912.
A la déclaration de la Grande Guerre, la nationalité russe de Kandinsky sépare définitivement les amants, il refait sa vie avec Nina Andreïevskaïa et Gabriele, avec l’historien de l’art Johannes Eichner à partir de 1927. La créativité de Münter connaît une nouvelle impulsion lors d’un séjour prolongé à Paris en 1929-1930, où Eichner la rejoint. Classée au rang des « artistes dégénérés » par les nazis en 1937, Gabriele se fait discrète dans la ville bavaroise de Murnau, où elle cache et sauve des flammes les œuvres majeures du Cavalier bleu qu’elle possède. Gabriele Münter s’éteint en 1962. Depuis 1994, un prix à son nom récompense les artistes femmes.
Les œuvres de Gabriele Münter sont visibles dans des collections publiques : le Centre Pompidou conserve le célèbre Drachenkampf (Combat du dragon, 1913) ou le Portail de jardin à Sèvres (1906), au Danemark où le Musée d’Art moderne de Louisiana conserve Vue d’une fenêtre à Sèvres (1906), en Allemagne où la part la plus importante de son legs est conservée, en particulier au Russenhaus de Murnau, mais aussi au Lenbachhaus de Munich, institutions de référence pour l’expressionnisme allemand.