Fernand Bonnier de La Chapelle : un Mort pour la France et une tombe historique au cimetière de Sèvres

Fernand Bonnier de La Chapelle : un Mort pour la France et une tombe historique au cimetière de Sèvres

Histoire et patrimoine
Le Sévrien vous propose avec les Archives de la ville, de revivre certains événements du passé. Ce mois-ci, dans « Histoire de Sèvres », rencontre avec Fernand Bonnier de La Chapelle à l’occasion du 80e anniversaire de son exécution.
Publié le 6 décembre 2022 Modifié le 14 décembre 2022

Sommaire

Le 24 décembre 1942 Fernand Bonnier de La Chapelle fait feu à trois reprises sur l’amiral Darlan, alors qu’il pénètre dans son bureau du Palais d’été à Alger. L’ancien vice-président du Conseil des ministres de « l’État français » (1941-1942) venait d’être « installé » haut-commissaire de la France à Alger sous la pression des américains qui ont débarqué en Afrique du Nord depuis le 8 novembre 1942 (opération Torch). Une seule balle a été mortelle : l’amiral décède moins de 30 minutes après l’attentat. Fernand Bonnier n’a pas pu s’échapper et a été immédiatement arrêté.
Le 25 décembre, après une brève instruction, un tribunal militaire siège. La peine de mort est prononcée vers 21h30. Dans la nuit du 25 au 26, la grâce est refusée par le général Giraud, alors haut-commissaire adjoint et chef des forces militaires en Afrique française.
Fernand Bonnier de La Chapelle tombe sous les balles d’un peloton d’exécution de l’État français
(Régime de Vichy) au champ de tir Hussein-Dey (commune de la
région d’Alger), le 26 décembre 1942 à 7h45. Il a 20 ans. Le 28 décembre son cercueil est rapidement enseveli au cimetière de Saint-Eugène (banlieue nord d’Alger) en présence de son père et de quelques proches, sous la surveillance d’un commissaire des renseignements généraux… La presse va alors se faire l’écho des condamnation et exécution de Bonnier en tant qu’ « agent de l’ennemi ».

« La bissectrice de la guerre »

La guerre se poursuit, mais son cours en est irrémédiablement modifié par le geste de Fernand Bonnier : la vacance laissée par Darlan va amener de Gaulle à s’émanciper de la «tutelle» britannique, à s’affirmer auprès des alliés, tout particulièrement le président américain Franklin D.
Roosevelt, à pousser le général Giraud hors du champ politique et à prendre en main le gouvernement provisoire et le destin de la France. S’il est question de « bissectrice de la guerre » c’est que la France, par et après le geste de Bonnier, sous l’autorité du Comité National français (3 juin 1942) et de son président le général de Gaulle, va alors quitter progressivement et définitivement son statut de pays vaincu et d’état collaborationniste pour conquérir une nouvelle souveraineté politique, se réinscrire dans une perspective républicaine, s’engager militairement comme France libre devenue combattante (juillet 1942) aux côtés des alliés et cosigner enfin, en vainqueur, la capitulation allemande le 8 mai 1945.

Réhabilitation et sépulture à Sèvres

Pour la famille de Fernand Bonnier de la Chapelle, dès le lendemain de son exécution, un long combat va  commencer pour dénouer les noeuds complexes de l’environnement politique trouble de la résistance française à Alger, et d’actions spéciales et/ou secrètes qui s’y déploient en cette fin 1942, dans le prolongement du débarquement américano britannique de l’opération Torch (S.O.E. britannique et O.S.S. américain). Il s’agit de mettre à jour les ressorts patriotiques et d’hostilité au
« vichysme » du geste de Fernand Bonnier, son engagement antiallemand qui l’a vu quitter la France et revenir le 24 décembre 1940 à Alger où il est né citoyen français le 4 novembre 1922, pour obtenir, enfin, sa réhabilitation et son inscription dans l’Histoire.

Le 19 décembre 1943 le Commissaire à la justice publie dans la presse nord-africaine un communiqué du Comité Français de Libération Nationale (CFLN, 3 juin 1943) démentant les déclarations qui donnaient à croire que Fernand Bonnier avait agi pour le compte de l’ennemi, et considérant que l’assassinat de l’Amiral Darlan par Fernand Bonnier avait été accompli « dans l’intérêt de la libération de la France ».

Le 21 décembre 1945, la chambre de révision de la cour d’appel d’Alger annule la condamnation prononcée par la cours martiale le 25 décembre 1942 et efface son casier judiciaire. En juin 1950 son cercueil est rapatrié au cimetière de Sèvres, ville où Fernand a vécu chez un oncle, quelques années avant la guerre. Une stèle est édifiée quelques temps après, portant, gravés, nom, dates (1922-1942) et médaillon de profil. Une croix de Lorraine en bronze est déposée sur la tombale.

La reconnaissance officielle

En février 1951, le ministère des Anciens Combattants lui attribue la mention « Mort pour la France » qui est inscrite à son état civil et gravée au bas de la stèle du monument funéraire du cimetière de Sèvres. Une cocarde tricolore, posée sur la tombale par la commune, témoigne également de cette reconnaissance à tous les « Morts pour la France ». Par décret du 19 août 1953, Fernand Bonnier de la Chapelle est décoré à titre posthume de la médaille militaire, de la croix de guerre avec palme et de la médaille de la Résistance.
Enfin, au chapitre « Tragédie » du deuxième tome de ses Mémoires de guerre (1956), le Général de Gaulle donne son interprétation du meurtre de l’amiral Darlan et des circonstances de l’acte commis par Fernand Bonnier de la Chapelle : « …qui, sans justifier le drame, l’expliquaient et, dans une certaine mesure, l’excusaient ». Fernand Bonnier de la Chapelle est définitivement entré dans l’Histoire.


Sources :

René Richard et Alain de Sérigny, « L’énigme d’Alger. La bissectrice de la Guerre », Librairie Arthème Fayard, Paris, 1947.

Charles de Gaulle, « Mémoires de Guerre. L’Unité. 1942-1944 », Librairie Plon. 1956.

Bob Maloubier, « Les coups tordus de Churchill », Calman-Lévy, 2009.

Bob Maloubier, « Agent secret de Churchill », Tallandier, 2011.

Michael R.D. Foot, « Des Anglais dans la Résistance », le SOE en France, 1940-1944, Tallandier, 2012.

Bénédicte Vergez-Chaignon, « Une juvénile fureur ». Bonnier de la Chapelle, l’assassin de l’amiral Darlan », Perrin, Paris, 2019.